Je vis depuis bientôt 20 ans dans le centre ville de Nice. J’y ai pris mes habitudes, vu le quartier se transformer, écouté les anciens se plaindre des changements et la dégradation issue de leurs souvenirs. J’ai vu les petits commerces de proximité fermer un à un, inlassablement.
Notre rue près de la gare est entre deux mondes. A la limite entre des immeubles bourgeois hauts de plafonds, aux longs couloirs parquetés de chêne, ponctués de noms de rue de virtuoses et compositeurs et l’ambiance bigarrée d’un quartier populaire en passe d’être reconfigurée par la ville.
Tout en étant à la croisée des chemins, à quelques pas de la gare, de l’artère principale et de la mer, nous sommes à la fois près de tout et assez distancés de toute agitation urbaine. Une boulangerie juste sur le pas de notre porche ouverte jusqu’à 22h. Et draine son quota d’acheteurs tardifs. Seules les enseignes franchisées se permettent une occupation des pignons de rue sur le moyen terme. Au coin de la rue, face à la concurrence et la crise, Stéphane, le primeur, relève le défi d’être l’âme des lieux.
Il tient bon, avec un sens du service inégalé. Plutôt que d’attendre le chaland vissé sur une chaise à laisser passer le temps, il s’attelle à son atelier et nous découpe d’énormes salades du jour, salées ou sucrées. Des smoothies à la minute, ou sur commande, au prix du fruit non transformé. Ses sauces, soupes, le taboulé maison, avec les produits frais du marché nous embaument la rue et nous dépannent, quand le rythme de vie nous enlève l’envie de cuisiner maison.
Ses mises en scène de fruits et légumes arrangés sont gargantuesques et nous offre tellement plus que les fameux 5 préconisations par jour. Bagna cauda à commander pour toute fête, paniers cadeau : original et sain, à faire livrer pour la surprise des sens !
L’ironie du sort, c’est que je l’ai connu par une voisine australienne, qui mange bio comme moi, et me parle d’un primeur rue Meyerbeer, qui ne fait pas du bio mais ses fruits et légumes sont tellement bons ! Je m’y rends, devient accroc aux smoothies, et laisse tomber le bio juste pour la qualité de service. Et puis, il est venu officier juste en bas de chez moi…
C’est un homme orchestre, à tous les postes. Il part au marché à 5h du mat, arrange son stand pour ouvrir avant 8h, avec Sylvie, hardie et fidèle niçoise. Il est présent du matin au soir 21h. Il prépare toutes les découpes, fait les ventes entre tout ça, 7 jours sur 7, écoute les clients râler sur les prix du commerce de proximité versus ceux des grandes surfaces, les klaxons incessants, nous vend aussi des fleurs de saison coupées ou en pot, dépanne comme une épicerie du coin, range tard le soir tout en vendant encore.
Stéphane suit toutes mes aventures et avec Sylvie ils ne sont jamais en reste d’encouragements. Il épingle mes photos dans les journaux et fait la revue de presse sur le thé qu’il me récolte avec attention . Ce quotidien là, se parler tous les matins, bonjour en passant, leur raconter mes espoirs avant chaque rv, quel nouveau chef ou directeur d’établissement je vais rencontrer, mes plans sur la comète, mes mille idées à la fois ou l’énorme du jour, quand je reviens de la gare, via Monaco ou Paris, leur dire au retour comment ça s’est passé. Ce quotidien là fait vivre cette artère.
Et en plus, je prends une de ses préparations, qui met ma table en fête.
Le « comment ça va ? » de Stéphane chaque matin prend la valeur de la répétition. Je pose un instant mes valises et gros sacs et nous parlons de nos escapades gourmandes et de rêves à vivre.
Mon quartier vit de ces relations sincères. Véritable ilot de vie, poumon de notre carré de quartier, merci à ces courageux du quotidien et du service à tout prix.